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à ne plus pouvoir manger. Marcelline me fut amenée à ce moment et, en présence de tous ses troubles, je n’ai pu faire autre chose que de l’endormir de nouveau ou plutôt de la ramener dans son état supérieur mais artificiel. Eh bien, les choses ont continué à se passer ainsi pendant quinze ans : Marcelline continua à venir de temps en temps se faire endormir, elle entrait alors dans son état alerte et partait très heureuse avec une activité, une sensibilité et une mémoire complètes. Elles restait ainsi pendant quelques semaines, puis lentement ou subitement, à la suite de quelque émotion, elle retombait dans ses engourdissements, revenait à l’état que nous avions considéré comme primitif et naturel avec les mêmes troubles viscéraux. L’oubli s’étendait maintenant sur des années entières et troublait complètement son existence : elle accourait alors se faire transformer de nouveau. Cela se prolongea ainsi comme je l’ai dit pendant quinze ans, jusqu’à la mort de la pauvre fille qui succomba à la tuberculose pulmonaire.

Comment comprendre ces deux états de Marcelline? Ils ressemblent tout à fait aux somnambulismes dominateurs de Félida qui présentait également deux états, l’un triste et incomplet avec des grands oublis, l’autre alerte avec l’intégralité de la sensibilité et de la mémoire. Les états de Marcelline leur ressemblent tellement qu’on pourrait appeler cette malade une Félida artificielle. Il faudra donc lui appliquer les conventions proposées par M. Azam et par tous les écrivains postérieurs : il faudrait dire que l’état I c’est l’état de dépression dans lequel nous l’avons trouvée au début et que l’état II c’est l’état d’activité qui a été surajouté artificiellement. Ces dénominations me paraissent tout à fait incorrectes quand on les applique à ce cas que j’ai suivi si longtemps. Il est absurde d’appeler état I ou état naturel un état de dépression incompatible avec la vie. Il est invraisemblable