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raccommodeur de vaisselle. Ils avançaient lentement en travaillant sur la route; or, un soir, arriva de nouveau un événement inattendu.

La journée avait été bonne, les deux compères avaient gagné sept francs. Le vieux raccommodeur s’arrêta et dit à Rou… : « Mon garçon, nous avons le droit de faire un bon dîner et de célébrer la fête d’aujourd’hui, car nous sommes au 15 août ». À ce moment le jeune homme ajouta étourdiment : « le 15 août! Mais c’est la fête de Marie, c’est la fête de ma mère ». À peine avait-il dit ces mots qu’il parut tout changé, il regarda de tous côtés avec étonnement et se tournant vers son compagnon, le raccommodeur vaisselle, il lui dit : « Mais qui êtes-vous donc, et qu’est-ce que je fais là avec vous? » Le pauvre homme fut stupéfait et ne put rien faire comprendre à son compagnon qui se croyait encore à Paris et qui n’avait aucun souvenir des trois mois précédents. Il fallut se rendre chez le maire du village où on eut beaucoup de peine à s’expliquer. N’est-ce pas aussi une jolie conclusion d’une fugue que ce nom évoquant subitement le souvenir de mère et amenant le réveil?

Le même détail aussi singulier se retrouve dans cette dernière observation dont je ne puis dire que deux mots. Un jeune homme de vingt-neuf ans, clerc de notaire, avait fait une fugue du même genre que les précédentes et entraîné par une idée fixe avait été jusqu’en Algérie. Il se trouvait à Oran sur une terrasse de café, il lisait tranquillement le journal, quand ses yeux tombèrent sur un singulier fait-divers. On racontait la disparition d’un jeune clerc de notaire de vingt-neuf ans, de tel nom, et on cherchait ce qu’il avait pu devenir. « Mais, se dit le jeune homme, avec le plus grand étonnement, c’est de moi qu’il s’agit. Qu’est-il donc arrivé? » Et il se réveilla sans aucun souvenir de son équipée.