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aurait bien voulu revoir sa famille, sa femme et son enfant. Remarquez que l’idées de sa famille ne lui était pas venue une seule fois depuis dix jours. L’apparition de cette idée eut un résultat inattendu, c’est qu’il se dit aussitôt : « Mais, au fait, pourquoi donc est-ce que je meurs ici, loin des miens? » Il se redressa aussitôt, il était réveillé. On sait la suite, j’insiste seulement pour faire remarquer cette modification énorme de l’état mental déterminée par une idée.

Le fait est si intéressant que nous allons le revoir une seconde fois dans une autre observation[1]. Il s’agit d’un jeune homme de 17 ans, Rou…, fils d’une mère névropathe, passablement nerveux lui-même, qui a l’âge de 13 ans se trouvait souvent dans un petit cabaret fréquenté par de vieux matelots; ceux-ci le faisaient boire et quand il était légèrement troublé par la boisson, lui remplissaient l’imagination de belles histoires de voyage. C’était de féeriques descriptions des pays tropicaux dans lesquelles le désert, les palmiers, les lions, les chameaux et les nègres jouaient un rôle admirable et séduisant. Ce jeune garçon fut extraordinairement frappé par ces récits qui l’impression-naient d’autant plus qu’il était dans un état de demi-ivresse. Cependant l’ivresse terminée il paraissait s’en préoccuper fort peu, il ne parlait pas du tout de voyages et il se préparait au contraire une existence bien sédentaire et bien calme puisqu’il avait accepté la profession de garçon épicier et qu’il cherchait uniquement à avancer dans cette honorable carrière.

Mais voici des accidents bien inattendus : presque toujours à l’occasion d’une fatigue, d’une émotion ou d’une nouvelle ivresse il se sentait transformé, il oubliait de rentrer chez lui, ne pensait plus à sa famille et il sortait de Paris en marchant droit devant

  1. Névroses et idées fixes, II, p. 258.