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sa pensée de culpabilité et dans la soirée qu’il passa à errer dans les rues de la ville sans aller dîner chez son voisin, il rêva constamment aux moyens d’échapper à ces accusations et de s’enfuir. Il prit de l’argent chez lui, alla se coucher dans un hôtel des faubourgs, au lieu de rester tranquillement chez lui, il se leva de très bonne heure et marchant à pied, pour éviter le chemin de fer, alla dans la campagne jusqu’à une gare où il n’était pas connu, il prit un billet pour Pagny-sur-Moselle. Puis, tantôt à pied, tantôt en chemin de fer, il alla jusqu’à Bruxelles, toujours avec l’idée de se réfugier à l’étranger sous un faux nom pour échapper aux poursuites.

À Bruxelles il séjourna d’abord dans un assez bon hôtel, et il passa ses journées à chercher s’il ne pourrait pas gagner quelques sous, mais il n’arriva rien et ses faibles ressources ne tardèrent pas à s’épuiser. Il alla dormir dans des garnis très inférieurs puis dans des asiles où on héberge à la nuit les malheureux. Là un brave homme petit pitié de lui et lui donna une lettre de recommandation pour une institution charitable. Cette lettre a joué dans son histoire un rôle intéressant : il l’a retrouvée dans ses poches après le réveil et elle lui a permis au moment de la guérison de remonter en arrière et de retrouver ses souvenirs. Mais ce jour-là il ne s’en servit pas et il tomba dans la plus affreuse misère. Il fut sur le point de s’engager comme soldat pour les Indes Néerlandaises, mais heureusement on ne voulut pas de lui. Épuisé de fatigue et de misère, il s’était couché dans la neige au milieu de la campagne avec la pensée vague de mourir.

Là il se passa une chose fort extraordinaire, qui constitue un fait psychologique intéressant. Ayant la pensée qu’il mourait, il ne put s’empêcher de changer le cours de ses idées et malgré lui il songea qu’avant de mourir couché dans la neige il