Page:Janet - Les névroses, 1909.djvu/202

Cette page n’a pas encore été corrigée

de fuite du monde ». Ces sujets ne reconnaissent plus le monde ordinaire, ils le sentent disparu, éloigné d’eux, séparé d’eux par une barrière invisible, par ce voile, ce nuage, ce mur dont ils parlent constamment : « Je flotte dans les espaces interplanétaires, et je suis séparé de tous les univers par une sorte d’isolement cosmique ».

D’autres ont le sentiment qu’ils voient double, qu’ils voient les objets transformés, plus longs qu’ils ne sont. Plus souvent, ils ont l’impression de ne pas voir des objets réels, mais uniquement des objets imaginaires : « Je vis dans le rêve, j’entends parler comme si j’étais dans un rêve, je ne distingue jamais bien ce que j’ai vécu et ce que j’ai rêvé ».

Un de ces sentiments qui accompagnent la perception a eu le privilège d’attirer l’attention des littérateurs et des philosophes et de provoquer d’innombrables discussions, c’est le sentiment du « déjà vu ». À l’inverse des précédents qui ont le sentiment que tout est nouveau, les malades ont le sentiment qu’ils ont déjà fait ces gestes, dit ces mots, vu ces choses, exactement dans le même ordre, de la même façon sans qu’ils soit possible de dire où ni quand. « Vous sentez que vous vivez identiquement une minute que vous avez déjà vécue, aujourd’hui devient autrefois, une chose est ainsi une autre chose. » Sans pouvoir entrer dans les détails, je rappelle seulement que le « déjà vu » ne constitue pas un trouble de la mémoire, comme on le dit trop souvent, mais un trouble de la perception. C’est une appréciation fausse du caractère de la perception actuelle qui prend plus ou moins l’aspect d’un phénomène reproduit au lieu d’avoir l’aspect d’un phénomène nouvellement perçu[1].. À tous ces sentiments s’ajoute souvent un sentiment étrange de désorientation ou de renversement de l’orientation.

  1. À propos du « déjà vu », Journal de psychologie normale et pathologique, 1905, p. 289.