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pendant des heures entières et il présentait un admirable spectacle dramatique, car aucune actrice ne pourrait jouer ces scènes lugubres avec tant de perfections. La jeune fille, en effet, avait la singulière habitude de rejouer tout entière, dans tous ses détails, les scènes qui avaient eu lieu au moment de la mort de sa mère ; tantôt elle parlait et alors elle racontait tout ce qui s’était passé avec une grande volubilité, faisant les demandes et les réponses, ou bien en faisant seulement les demandes et ayant l’air d’écouter les réponses. Tantôt elle se bornait à voir devant elle ces mêmes spectacles, les yeux fixes, devant les scènes auxquelles elle assistait et en prenant des attitudes en rapport avec ces scènes. Mais le plus souvent elle réunissait tout, hallucinations, paroles et actions, et semblait jouer alors une comédie bien singulière. Quand dans son drame, la scène de la mort était achevée, elle continuait la même série d’idées en préparant son propre suicide. Elle le discutait tout haut, en ayant l’air de causer avec sa mère et d’en recevoir des conseils et elle imaginait de se faire écraser par un locomotive de chemin de fer. Ce détail d’ailleurs était encore en rapport avec le souvenir d’un événement réel de sa vie. Elle croyait être sur la voie et s’étendait de tout son long sur le plancher de la salle en se disant sur les rails. Elle attendait avec impatience et effroi, elle avait des poses et des expressions de physionomie admirables qui restaient figées pendant plusieurs minutes. Le train arrivait devant ses yeux dilatés par la terreur, elle poussait un grand cri et restait immobile, comme morte. D’ailleurs elle ne tardait pas à se relever et à recommencer la comédie à l’une des scènes précédentes. Un caractère en effet de ces somnambulismes, c’est qu’ils se répètent indéfiniment : non seulement les divers accès successifs sont toujours exactement les mêmes avec les mêmes poses,