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connaît les désordres et les écarts, répandit dans le public sur la nature et l’essence du génie, sur ses priviléges, ses attributs, ses conditions extérieures, une théorie qui scandalisa singulièrement les esprits paisibles et sensés. L’homme de génie dut être considéré comme une créature à part, à laquelle les lois communes n’étaient pas applicables ; il était en dehors et au-dessus des lois morales et des lois sociales : le désordre en était la condition indispensable. Je ne sais quoi d’inculte et de grossier, mêlé aux plus grands raffinements, en était le témoignage extérieur le plus certain. Qu’était-il en lui-même ? une inspiration désordonnée. En même temps, on ne trouvait pas assez d’expressions pour l’exalter, ou plutôt on ne trouvait d’images dignes de lui que dans la religion. L’art était une mission, l’artiste un révélateur. Tout se changeait en ange et en démon. Nous qui, alors enfants, avions été nourris dans ces étranges visions, nous ne pouvions pas croire que les hommes supérieurs fussent des personnes naturelles ; et nous ne pouvions nous figurer M. de Lamartine, qu’une lyre à la main et les yeux au ciel.

Telle est la théorie romantique du génie : théorie, qui, depuis longtemps abandonnée dans la littérature et dans la critique, est allée se réfugier en province, et qui, je ne sais comment, s’égarant jusque dans la médecine, est devenue le fonde-