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n’ait plus besoin de rien d’extérieur. Comprend-on que l’on puisse penser avec quelque chose qui ne serait pas nous-même ? Ce qui pense et ce avec quoi on pense, cela ne peut être qu’une seule et même chose. Ou le cerveau ne peut servir de rien à la pensée, ou il est lui-même la chose pensante. On comprend un instrument d’action, mais on ne comprend pas ce que pourrait être un instrument de pensée. Aussi l’ancienne philosophie, suivant sur ce point la doctrine d’Aristote, enseignait-elle que l’entendement n’est lié à aucun organe, à la différence des sens[1]. Mais s’il en était ainsi, comment cette intelligence pure serait-elle à la merci d’un coup de sang ou d’une chute ?

Voici ce que l’on peut répondre à cette difficulté. De quelque manière que l’on explique la pensée, soit que l’on admette, soit que l’on rejette ce que l’on a appelé les idées innées, on est forcé de reconnaître qu’une très-grande partie de nos idées viennent de l’expérience externe. Les idées innées elles-mêmes ne sont que les conditions générales et indispensables de la pensée, elles ne sont pas la pensée elle-même. Comme Kant l’a si profondément aperçu, elles sont la forme de la pensée ; elles n’en sont pas la matière. Cette matière est fournie par le

  1. Bossuet, Connaissance de Dieu et de soi-même, chap. III, § XIII.