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Tout le monde a des distractions. L’un oublie les choses visibles, l’autre les choses invisibles ; l’un ne pense qu’à son devoir et oublie son intérêt ; l’autre pense à son intérêt et oublie son devoir. Ce sont là autant de distractions. Quant à l’homme supérieur, il est distrait parce qu’il pense ; il est distrait parce que les choses quotidiennes ne l’intéressent pas. D’ailleurs, M. Moreau (de Tours), fidèle à sa peinture fantastique du génie, exagère tout, la distraction comme l’enthousiasme : De même qu’en s’exaltant outre mesure, dit-il, l’imagination touche au délire ; l’attention, par sa tension exagérée, touche au fait le plus grave de l’aliénation mentale, à la perte de la conscience, à l’extase. » Ce sont là de grandes exagérations. M. Ampère, lorsqu’il s’abandonnait à ses distractions si célèbres, n’était pas du tout dans l’extase. Seulement il pensait à des choses qui l’intéressaient vivement, et il en oubliait d’autres qui ne l’intéressaient pas du tout. M. Moreau (de Tours) dit avec raison, après Esquirol, que ce qui constitue la folie, c’est la lésion de l’attention. Or, ce qui constitue précisément le génie, c’est la puissance d’attention. Il n’y a donc rien de plus différent que ces deux états. Le fou est absolument incapable d’attention, il est subjugué par les idées qui l’occupent et par son imagination ; il ne peut changer les rapports de ces idées entre elles ; il ne peut suivre la trace d’une