Page:Jan - Dans la bruyère, 1891.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
57
LA FILLE


Puis un rêve est éclos qu’ils ne connaissaient pas :
Un rêve étreint leur cœur et mouille leurs prunelles,
Quand, fatigués tous deux des étreintes charnelles,
Ils retombent dans l’herbe en se parlant plus bas.

Brusquement accablés de tristesses sans causes,
Ïls sentent dans les fleurs, dans l’ombre et la forêt,
Un étrange regard les suivre, et l’on dirait
Qu’ils ont peur de troubler le silence des choses.

Si les pâles amants des filles du trottoir,
Que des semblants d’amour en une nuit épuisent,
Voyaient les blanches dents, la peau, les yeux qui luisent,
Ils sentiraient en eux se réveiller l’espoir :

Car ce qu’ils ont rêvé dans leur chimère immonde,
C’est le plaisir brutal, éternel et puissant,
Qui joint à cette femme un mâle paysan
Et fait fleurir l’amour dans la splendeur du monde.