Page:Jammes - Vers, 1894.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

8


Les grues sont passées dans le ciel gris et leurs longues
lignes filaient en grinçant, cris de neige et d’ombre :
c’est la saison où l’on va pour orner les tombes.

Les misérables, les aveugles mendieront
avec leurs mains rouges et luisantes. Ils iront
mourir dans les soirs noirs en riant de frissons.

Les bêtes souffriront. J’ai vu un vieux mendiant
avec des taches sur les yeux et maltraitant
son pauvre chien la queue sous le ventre, tremblant.

Il le traînait, l’étranglant avec une corde,
disant : je l’ai jeté à l’eau trois fois. La corde
a cassé. Il revient, le cochon ! et la corde

tirait. Et le vieux chien, compagnon de misère
de ce vieux, semblait lui dire : laisse moi sur terre
m’accrocher encore à tes habits pleins de poussière

Et lui, étant homme, plus mauvais que le chien,
disait : cochon ! cochon ! va ! je te noierai bien,
et ils allaient tous deux sous le grand ciel d’étain.