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dans un coin d’ombre, des tomates échappées de quelque misérable potager ont mûri. Sa pensée, à travers les ronces, lit encore cette inscription :

Laura Lopez
1805



La nuit claire coule dans le ciel, une de ces nuits tièdes où les longs moustiques désertent la rivière pour la lueur de la lampe.

C’est après dîner. M. d’Astin, qui s’est résolu à rester, joue aux échecs avec M. d’Ellébeuse. Mme d’Étanges et sa fille travaillent à leurs tapisseries. Clara d’Ellébeuse, les bras derrière le dos, regarde, par la fenêtre qui donne sur le parc, l’ombre remuer dans les feuillages. Une vague inquiétude l’oppresse. Elle ne peut être absolument heureuse. Toujours, même aux soirs calmes comme celui-ci, son âme éprouve une angoisse qui semble nécessitée par le bonheur. Lorsque Clara d’Ellébeuse était petite enfant, et que le don d’une poupée la comblait d’abord de joie, elle l’abandonnait tout à coup, sans que ses parents comprissent la