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— Mon cher Henri, dit M. d’Astin, je me souviens que, lors du dîner d’adieux que donna le frère de votre père, à la veille de son départ pour l’Amérique, il y avait une garniture de nappe dans le même goût. Ce fut un repas empli de gaité, à Bordeaux, au Restaurant du Brésil.

Nous bûmes à nos futures amours. Alors, certes, je ne pensais point que les siennes finiraient si tragiquement, ni qu’à mon retour de la Chine je dusse ensevelir dans ce pays sa bien-aimée Laura…

M. d’Astin se tait. Il a oublié la présence de la jeune fille. Un sourire de Mme d’Ellébeuse la lui rappelle.

— Vous avez, fait-il, des melons magnifiques ?

— Le terrain est très sableux, répond Mme d’Ellébeuse… Mais ne reconnaissez-vous point leur espèce ? Elle est de ces fameuses graines que vous eûtes la gracieuseté de nous offrir, il y a six ans, et que vous disiez tenir de la fille d’un poète de la Chine…

— … Ou de la fille d’un mandarin, c’est tout comme. Aujourd’hui le vieux garçon que je suis ne reconnaît plus les melons… Et les mandarines, je le crains…

Un pli s’est formé entre les sourcils de Clara d’Ellébeuse. Les mots qu’a prononcés le marquis au sujet de l’oncle Joachim la bouleversent. Elle