Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Pensais-tu donc, reprit François, que Dieu abandonne les lièvres et que, seuls dans le monde, ils n’aient pas droit au Paradis ?

— Que non, lui répondit le Patte-usée. Je ne réfléchissais point sur ces choses. Toi, je t’aurais suivi, car j’ai appris à te connaître aussi bien que la haie de la terre où les agneaux suspendaient la tiède neige dont mon gîte se réchauffait. En vain, à travers ces prairies célestes, ai-je cherché ce Dieu dont tu parles encore. Mais, tandis que mes compagnons le découvraient tout de suite, et trouvaient leurs paradis, moi j’errai. Du jour que nous t’eûmes quitté, et dès l’instant que j’eus gagné le Ciel, la nostalgie de la Terre fit battre mon cœur puéril et sauvage.

Ô François, ô mon ami, ô toi seul en qui j’ai foi, rends-moi ma terre. Je sens que je ne suis pas ici chez moi. Rends-moi mes sillons pleins de boue, rends-moi mes sentes argileuses. Rends-moi la vallée natale où les cors des chasseurs font remuer les brumes. Rends-moi l’ornière d’où j’entendais sonner comme des angelus les meutes aux oreilles pendantes. Rends-moi ma peur. Rends-moi l’effroi. Rends-moi l’émotion que j’éprouvais lorsque, soudain, un coup de feu