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Le quatrième Paradis était celui des loups, si nu qu’on peut à peine le décrire.

Au sommet d’une montagne stérile, dans la désolation du vent, sous une brume pénétrante, ils avaient la volupté du martyre. Ils se nourrissaient de leur faim. Ils éprouvaient une âcre joie à se sentir délaissés, à n’avoir jamais pu qu’un instant — et grâce à combien de souffrances ! — abdiquer l’amour du sang. Ils étaient les parias au rêve jamais réalisé. Depuis longtemps, ils ne pouvaient plus approcher les brebis célestes dont les cils blancs battaient dans la verte lumière. Et puis, aucune d’elles ne mourant plus, ils ne pouvaient désormais guetter le cadavre jeté par le pâtre au rire éternel du torrent.

Et les loups s’étaient résignés. Et leur fourrure pelée comme la roche, était pitoyable. Une sorte de misérable grandeur régnait dans ce séjour étrange. On sentait, tant ce dénûment se faisait tragique et fatal, que l’on eût baisé au front, de tendresse, ces pauvres carnassiers surpris à saigner des agnelles. La beauté de ce Paradis où l’ami de François prit place, c’était la désolation et le désespoir sans espérance.

Et, au-delà de cette région, le ciel des bêtes s’étendait à l’infini.