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Le troisième Paradis était celui des brebis.

Au cœur d’un vallon d’émeraude qu’arrosaient des ruisseaux dont l’herbe était d’un vert inouï sous leur cristal ensoleillé ; auprès d’un lac de nacre et de plume de paon, d’azur et de mica, de gorge de colibri et d’aile de papillon : ayant lapé le sel candide sur des granits aux grains d’or, les brebis dont les touffes d’épaisse laine sont imbriquées comme les feuilles de larges rameaux recouverts de neige, les brebis rêvaient longuement.

Ce paysage était si pur, et d’un songe si clair, qu’il avait blanchi les cils des agnelles, à glisser jusqu’à leurs yeux d’or. L’air y était si transparent qu’on eût cru voir, au fond de l’eau, tant leur relief s’accusait, les sommets calcaires zébrés de jaune. Les tapis des hêtraies et des sapinières se tissaient de fleurs de givre, de ciel et de sang, d’où la brise, les ayant frôlées, ressortait plus légère, plus balsamique, plus glacée.

Comme une marée bleue, une buée montait des cônes précieux des arbres où s’enlaçaient des