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les rousses giroflées, ces fleurs éternellement flétries. J’ai cueilli dans la haie du presbytère une rose et sur elle j’ai douloureusement posé mes lèvres. Le curé m’a fait boire du vin blanc dans la salle à manger glaciale, tandis que mes chiens harassés, couchés dans l’herbe, haletaient. Je pense à ce vers de Charles Guérin :

« Hélas ! il faut pourtant recommencer à vivre. »

Il me semble que mon existence est aussi lamentable que le sourire d’une fille qui a fait la vie. J’écoute un grillon qui grésille, un âne qui brait. Je songe à cette brebis boursouflée étendue au travers de la route, et morte pour avoir brouté du trèfle sur pied.



Dans ce château d’A*** ruiné et abandonné, sur le perron duquel j’ai déjeuné hier, j’aurais vécu il y a soixante ans. Le long des allées, j’eusse traîné l’existence de ceux qui mouraient jeunes. On m’eût vu, au crépuscule, vêtu d’un carrik, grelotter. Malvina m’eût rejoint sous la tonnelle. Puis un soir d’Octobre, un coup de pistolet dans la chambre du second… Et la grand’mère aurait expliqué : l’oncle est mort. Son fusil a éclaté.