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Que c’est loin tout cela, et comment ai-je vécu ? Je jette un regard en moi-même, et n’y trouve que désolation. Non, personne moins que moi n’a cru aux hommes, pas même toi, ô doux génie ami, qui reposas dans l’île aux frais peupliers. La méchanceté des meilleurs est terrible, l’hypocrisie des plus vrais est infinie. Ô mes pauvres chiens aux yeux tristes, sentez-vous lorsque je caresse lentement vos crânes bas, toute l’effusion de mon cœur ? Ô bonté que vous êtes, doux êtres de Dieu qui n’avez d’autre défaut que de lécher le fond d’un plat, craintifs, la queue au ventre, et craignant que l’on ne vous batte…



La douleur que j’attendais, la voici. Elle est là, palpable. Elle est venue, seconde par seconde, hésitante, puis sûre. J’avais cru que je trébucherais sous elle. Non. Je me suis levé avec une amertume courageuse dans le cœur. J’ai pris mon bâton, sifflé mes chiens et je suis parti à travers bois. En moins de trois jours, et quoique l’almanach dise encore le printemps de Mai, l’Été a bourdonné. J’ai gagné le village de Balansun. Les potagers paysans flambent sous leur triste beauté, élèvent au ciel