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jardin public qu’eût aimé Bernardin de Saint Pierre où, en Mai, la nuit est épaisse, bleue et douce dans les marronniers.

Depuis des années je vis là, d’où s’en allèrent vers les Antilles en fleurs, mon grand-père et un grand-oncle. Ils écoutèrent la mer bruire ; des robes de mousseline glissèrent sous les vérandas, et ils moururent en regrettant peut-être ces rues, ces boutiques, ces seuils, ces jardins, ce ruisseau, ce gave.

Lorsque je me rends à ma petite métairie, je me dis qu’ils y furent. Ils devaient emporter leur déjeuner en un petit panier, et l’un d’eux s’être chargé d’une guitare. Des jeunes filles ne suivaient-elles pas, légères ? La romance bourdonnait entre les haies mouillées. Un ineffable amour effrayait les oiseaux, les mûres étaient vertes. On marchait en cadence. Un cri de jeune fille émouvait l’air, un grand chapeau tournait à l’angle du chemin, un rire frais montait des églantiers déchirés par les pluies, puis les cœurs battaient lorsque, dans la canicule blanche, la noire grange éteignait le gloussement des poules sous l’azur écarlate de midi.

… Cette guitare, ou une autre, je l’ai entendue dans la cour de mes grand’tantes huguenotes, un soir d’Été, lorsque j’avais quatre ans. La cour dor-