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plus aimée conservait, sous son éducation parfaite, un relent de fille tragique, de celles dont le front ou le cou porte une cicatrice.



« Le vent souffle où il veut et d’où il veut, » comme l’Esprit. Et il souffle encore aujourd’hui, m’emplit d’une âcre tristesse. Du moins, suis-je seul encore, dans cette mansarde d’où, à travers de petits rideaux de tulle, je vois la route, les arbres nus, la pluie. Où va-t-elle la route ? Ici, ma vie s’isole et, au-dedans de moi, je sens davantage l’amertume du passé. Qui saura, lorsque je serai mort, que j’ai lutté si terriblement ?

L’obsédant souvenir de cette bohémienne me fait sentir les vers de Baudelaire :


Toi qui, comme un coup de couteau,
Dans mon cœur plaintif es entrée.


… Et je me demande si elle ne m’a pas jeté un de ces charmes auxquels ajoute foi le peuple, si le jour que j’ai bu une goutte de son sang en lui rappelant une superstition italienne, je n’ai pas à jamais rivé mon âme à la sienne. Cette goutte, je l’ai bue par un jour pareil à celui-ci, âcre et plu-