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rolles de cognassier, des églantines et du chèvrefeuille. Je ne puis guère éprouver de sentiment qui ne s’accompagne de l’image d’une fleur ou d’un fruit. Si je pense à Marthe, je songe à des gentianes. À Lucie, je prête des anémones blanches du Japon, et à Marie des muguets-de-Salomon. À une autre un cédrat qui serait transparent.

Au premier rendez-vous que me donna une amie, j’avais emporté un rameau de glaïeul dont les gorges étaient d’un rose d’abricot. Nous les mîmes sur la fenêtre durant la nuit où je l’oubliai pour ne me souvenir que de l’amie. Aujourd’hui je voudrais oublier l’amie pour ne me rappeler que le glaïeul.

Mon souvenir est donc, si je puis dire, végétal, et les arbres, aussi bien que fleurs et fruits, symbolisent pour moi des êtres et des sentiments. Les plantes, autant que les animaux et les pierres, emplirent mon enfance d’un mystérieux charme. À quatre ans je demeurais en contemplation des cailloux de montagne cassés, en tas au bord des routes. Choqués ils faisaient feu au crépuscule, Frottés les uns contre les autres, ils sentaient le brûlé ; j’en ramassais de marbrés qui semblaient lourds d’une eau qu’ils eussent recélée. Le mica des granits fascinait ma curiosité que nul ne pou-