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LE ROMAN DU LIÈVRE

çait. Et Lièvre alla vers elle jusqu’à ce qu’il l’eût rejointe au centre du regain bleu. Leurs petits museaux se touchaient. Et, un instant, au milieu des oseilles sauvages, ils se broutèrent des baisers. Ils jouèrent. Puis, lentement, côte à côte, ils s’en furent, guidés par la faim, vers une métairie prosternée dans l’ombre. Dans le misérable potager où ils pénétrèrent, les choux étaient croquants, les thyms amers. L’étable voisine respirait, et, sous la porte de sa loge, le cochon passa son groin mobile et renifla.

Ainsi la nuit se passa à manger et à aimer. Peu à peu l’ombre remua sous l’aube. Des taches apparurent au loin. Tout se mit à trembler. Un coq ridicule déchira le silence, perché sur le poulailler. Il avait un cri furieux. Il s’applaudissait avec ses moignons d’ailes.

Lièvre et sa femelle se quittèrent au seuil de la haie d’épines et de roses. Un village de cristal, eût-on dit, émergeait du brouillard et, dans un champ, on distinguait des chiens affairés qui, balançant leurs queues roides comme des câbles, cherchaient à débrouiller, parmi les menthes et les pailles, les courbes idéales décrites par le couple charmant.