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je suis ! Il ne me reste plus qu’à terminer dans les sanglots et le repentir une vie si cruelle, qu’il me faut faire appel à toute ma religion pour ne point en hâter la fin.

Vous me dites que vous n’aviez rien observé chez Laura, si ce n’est un peu plus de tristesse durant les derniers jours. Mais n’étions-nous pas habitués à cette mélancolie ? Ici même, sous cette triste véranda d’où je vous écris, et où elle passa de longues soirées, je ne pus jamais lui donner un peu de joie. Le pauvre être fixait sur moi ses yeux douloureux, et qui semblaient marqués pour une mort prématurée. Son seul plaisir était que les maronnes lui apportassent des colibris et des fleurs. Me souvenir de ces choses fait battre mon cœur à coups précipités, ou le fait s’arrêter comme s’il allait rejoindre dans la tombe celui de ma bien-aimée Laura.

Mais où se procura-t-elle la fiole de laudanum que vous avez trouvée sur sa table de nuit ? Délivre-t-on des remèdes aussi vénéneux sans ordonnance ? Mais que dis-je ? Si son dessein était arrêté, rien ne pouvait contrarier les lois du sort. Il fallait que ce terrible événement s’accomplît.

Que ce douloureux secret demeure entre nous. Il ne faut pas que ce qui est un scandale aux yeux du monde retombe sur cette chère Mémoire. Le docteur-médecin Campagnolle et vous, savez seuls comment s’est déroulé ce triste drame. Je connais son cœur d’ami. Il se taira, car s’il est des obligations envers les hommes, il en est de plus grandes envers Dieu qui, j’en suis sûr, s’est montré compatissant envers elle. Si le châtiment d’une mort que réprouve le sentiment chrétien doit retomber sur le coupable, c’est moi seul qui en assume la responsabilité, dans ce monde et dans l’autre.

La pauvre enfant doutait de mon amour. Elle pensa