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LA JEUNE FILLE

Calme-toi, pauvre ami qui deviens fou. Prends-moi,
ou viens auprès de moi. Je te reposerai.
Tu es seul avec moi au cœur de la forêt,
la patrie fraîche et bleue où l’on parle à son âme.

LE POÈTE

Laisse-moi. Ma patrie n’est pas ici. À peine
trouvé-je à qui parler, quand sur la route aride
passe un pauvre aux pieds bleus, aux guenilles terribles,
suivi d’un chien méfiant dont le regard a faim.
Depuis que je n’ai plus de femme belle et vaine,
mon amour va vers ceux au cœur gonflé de haine,
ma haine va vers ceux dont le cœur plein d’amour
ne songe pas aux hommes dont jamais une lèvre
n’essuie la face anxieuse et pleine de poussière.

LA JEUNE FILLE

Apaise-toi : tu es venu dans la retraite
du bonheur où les roses mousseuses sont mes amies.
L’amour t’y attend. Je suis auprès de toi tremblante
comme la fleur du cognassier sous une averse.