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liers de voix assignant d’avance une réponse, je forçais l’arbre à être en harmonie avec moi. On ne se doutait pas, lorsqu’on me trouvait comme hébété par le bruit si mobile des feuilles, que j’étais au pied d’une lyre trop complaisante et dont il m’aurait fallu distraire pour opposer un réducteur à ma rêverie. Quelles mers ne m’ont pas bercé, quels chaos de bataille, quels hymnes, quels rires et quels sanglots n’ai-je pas écoutés dans ces ramures ? Mais voici qu’en faisant du bel arbre un ami toujours prêt à m’entendre et à m’absoudre, je suis devenu le misérable sujet de moi-même. Et je crains qu’à travers les douleurs de cette existence par moi et pour moi sacrifiée, je n’écoute que la triste voix de mon bouleau. Il est des gens qui savent marcher sans jamais se retourner vers leur passé. Croient-ils donc qu’ils soient comme moi qui, dans l’instant que je songe devant cet encrier, cette plume, ce registre et cette boîte pleine de poudre à sécher l’écriture, vois ma mère dans son jardin, les yeux bouffis de larmes et traînant sur le sable ses pieds enflés par les troubles de son