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était d’une nature joyeuse et robuste, et parce que la vigueur s’attendrit et cède au charme de la fragilité. Pomme d’Anis fut semblable à la tige de ces muguets-de-Salomon, si frêle qu’elle ploie, mais qui, pour croître avec langueur, s’abrite à l’ombre des chênes.

Pomme d’Anis boite, mais ce lui est presque une grâce. À la voir venir du fond de l’allée, en ce moment où les oiseaux boivent les eaux rieuses de Mai, où l’herbe des pelouses égrène des colliers de perles d’arc-en-ciel, on dirait d’une liane en marche à peine balancée par la brise. Elle courbe une branche au-dessus de son front. Son teint d’abricot rose, dans l’ombre du vaste chapeau, salue la lumière. Son bras dressé découvre l’absence de la gorge, fait ressortir la fine élégance des jambes hautes et minces. Rien de difforme n’explique la démarche, hélas ! hésitante. On croirait que, fatiguée d’être gracieuse, la grâce elle-même succombe. Elle considère longuement un iris dont la clarté l’éblouit, et s’aperçoit qu’en son milieu la queue de la fleur est bossue…