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FEUILLES DANS LE VENT

sol qui les sépare des flots. Je continue de faire appel à ces merveilles toutes colorées de la verdure des roues de moulins sauvages et du prisme du pommier en fleurs dans le ciel gris après la grêle. Je supplie les champs patriarcaux. Et par moments ils s’élèvent comme des nappes de lumière. Et j’entre dans la salle à manger même de Dieu qui n’est plus celle où l’enfant avait succombé au sommeil. J’entre en hésitant. Mes pieds sont si poudreux ! Je me suis tant attardé dans ce monde ! tant attardé à dormir sur le lit de repos de la bibliothèque ! Je regarde les mains du Maître qui tiennent le pain. J’ai peur et je n’ai pas peur : « Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Seigneur, vous savez toutes choses ; vous savez donc que je vous aime. »

Je comprends que les fleurs peintes sur mon assiette se mettent à vivre et les notes de l’angélus deviennent des paroles. Et le vallon passe dans la gloire de Dieu, ce que je souhaite que nous fassions.