Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
OUVERTURE DU PRINTEMPS

Après les lis, je vis surgir de l’ombre des bouches qui chantaient. C’étaient les pourpres corolles d’anémones et de roses. D’autres fleurs suivaient encore, s’épanouissant et s’ordonnant. Et la Nuit, debout auprès de moi, les contemplait avec des larmes.

Qu’allait-il se passer ? La lune, encore que les néo-classiques de nos jours réclament sa suppression, ne quittait pas la nue. Au contraire, sa lumière s’accentuait. Elle avait l’air d’une vieille qui, auprès de sa veilleuse, ne se décide pas à mourir et dépite ses héritiers. Pauvre lune ! Pourquoi eût-elle cédé le pas à ces ennemis du romantisme ? On ne peut pourtant pas éteindre une si vieille institution pour complaire à quelques poétereaux qui pensent en avoir épuisé les rimes. La lune demeurait donc là, cette ancienne aristocrate, dans son quelque six millième printemps, et dansait encore un menuet sur la terre et sur l’eau ténébreuses. Elle semblait attendre, avec un intérêt passionné, quelqu’un ou quelque chose, tant sa physionomie prenait de plus en plus d’éclat.