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aisée dont je m’exprime, mais sachez que je me nomme Dessarps (Jean-Firmin), dit le Bonhomme Job, car Dieu m’a tout ôté. Je suis né en 1843, à Abidos, où mon père possédait un château dans un tel encaissement de moissons qu’elles et les coquelicots semblaient à niveau des toits. Je me souviens des étés de mes dix ans, des geais saouls de cerises et qui fientaient sur la pelouse, des capricornes couleur d’algue, de la rosée de sueur qui perlait à mon nez d’écolier. Mais, aujourd’hui, cela est trop loin, trop haut et trop profond. J’ai perdu, il y a quarante ans, famille et fortune. Je ne parle pas de ma fiancée, ce sont des bêtises. Un peu de soupe vaut mieux que l’amour.

Je me suis adressé au Ciel dans ma disgrâce, mais elle s’est accrue jusqu’à cet état si différent de l’autre, que je me prends à rire de ma misère. Comme Job, couché sur un fumier parmi les tessons, j’ai conversé avec Dieu. Je n’ai pas demandé le double de mon bien dispersé, mais ce qu’il plairait au Tout-Puissant de m’accorder. Et j’obtiens deux sous, ou un sou, ou une croûte que je casse