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J’avais appris qu’ils avaient demeuré jadis
dans ce village loin où alors je partis
pour voir si je reconnaîtrais cette patrie
où doivent être leurs tombes pleines d’orties.
En arrivant je déposai le petit chien
doux qui dormait sur mes genoux entre mes mains.
Le paysan se mit à l’ombre de la place
qui était au soleil froide comme la glace.
C’était midi au vieux clocher tout ruiné,
près d’une tour vieille comme le passé,
et des gens à qui je m’adressais répondaient :
les gens dont vous parlez… nous n’avons pas idée…
Il y a très longtemps, sans doute, très longtemps…
Il y avait une femme de quatre-vingts ans
qui est morte il y a quelques jours. Elle aurait pu
vous renseigner, peut-être, sur ces disparus.
Et j’allais de porte en porte — et chez le notaire
qui a l’étude du père de mon arrière-grand-père
et chez le curé qui ne connaissait pas non plus…
Et je passais devant les portails vermoulus,
de jardins abandonnés où, par les grosses grilles,
on voyait près des maisons sans plus de familles
des roses trémières roses dans l’herbe bleue,
près des portes fermées par la vieille poussière
comme les portes des cercueils des cimetières.