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Nous avons été déchirés par des requins,
comme le poète par l’homme, et avons nourri
des huîtres, des araignées, des oursins
et des pieuvres qui rougissent comme des femmes qui sourient.

Nous sommes noyés dans la mer comme il est noyé
sur la terre, et nos lambeaux s’incrustent aux rochers
comme des Prométhées dont le foie est rongé
par l’amour de la tendre et chaste bien-aimée…

Mais nous nous vengerons, et quand la bien-aimée
tendra sa bouche à l’eau peur y boire notre sang
qui s’y épand en gouttes, nous laisserons, en pâlissant,
glisser des roses d’or sur sa gorge gonflée.

Et, petit à petit, comme des bras de femme,
les algues nous entoureront, entoureront ;
et nous en sentirons bientôt jusqu’au front,
puis elles nous lieront doucement jusqu’à l’âme.