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les nombreuses lumières que j’aperçois m’apprennent que, chose extraordinaire, à Fou-sang comme à Kobé, les Japonais sont très noctambules. Ma première tentative n’est point heureuse ; mais un petit Japonais, que je rencontre encore habillé du costume national, avec sa tête demi-rasée surmontée d’un échafaudage de petites nattes, est fort aimable ; il me prend par le bras et me conduit, après quelques détours, devant une grande maison qu’il me montre du doigt en me disant : Mouchachia. Je comprends sa pantomime, j’entre dans l’habitation. Une forme légère s’enfuit à mon approche ; un petit chien se met à aboyer avec fureur ; seul un grave personnage, accroupi à terre et tenant d’une main un abaque, — machine à calculer, — et de l’autre un livre de compte, conserve sa dignité. Sans même se donner la peine de se lever, il me demande, en anglais, ce que je désire, et ce n’est que lorsque j’ai prononcé le nom de Mouchachia qu’il semble faire quelque cas de moi. Il se lève à la hâte, dépose livre et machine à terre et disparaît, après m’avoir prié de l’attendre un instant.

Bientôt le maître de la maison arrive ; il me reconnaît dès l’abord, ce qui serait de nature à me faire supposer que les Japonais ont plus d’affinités de race avec nous que les Chinois, car ces derniers n’arrivent que bien difficilement à distinguer les Occidentaux entre eux. Quand on leur demande de décrire un Européen quelconque, ils ne peuvent que vous donner deux indications fort vagues : Il avait une grande barbe et un grand nez ; traits qui frappent beaucoup un peuple dont tous les représentants sont imberbes, et ont un nez dont la forme rappelle celle d’un pied de marmite.

Mouchachia, après les compliments d’usage, m’introduisit dans ses appartements privés. Une grande pièce, au parquet natté, avec des petits paravents à tous les coins et de jolis petits cabinets en laque, agrémentés d’ornements en bronze, qui font les délices de nos collectionneurs, formait ce qui correspond chez nous au salon. Comme dans toutes les habitations japonaises, la terre y tenait lieu de chaises, de fauteuils et de canapés. Dès que nous fûmes assis, on apporta entre nous une petite boîte, divisée en trois compartiments, contenant quelques petites pipes, un pot à tabac et un brasero en miniature destiné à fournir du feu aux fumeurs. Le thé ne tarda pas aussi à arriver ; et en attendant les danseuses et les musiciennes, que l’on était allé chercher à la maison voisine, nous nous mîmes à deviser, comme Pic de la Mirandole, de omni re scibili. Au