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tournée dans l’intérieur, où il a acheté une bonne quantité de poudre d’or, encore un des principaux produits d’exportation du port de Fou-sang. Il nous montre ce qu’il en a acheté, qu’il porte dans sa manche, soigneusement enveloppé d’un solide parchemin. Il y a là une bonne poignée d’une poudre qui ressemble un peu en apparence, quoique les grains en soient plus grossiers et plus inégaux, à la poudre dorée qui nous sert de papier buvard. Il va, nous dit-il, payer cet or à l’aide d’une cargaison — 6000 boîtes — d’imitation d’allumettes suédoises, fabriquées au Japon à la fabrique Sinchosha, et de quelques bouteilles de faux champagne fabriqué en Amérique.

Nous nous étonnons que le goût du roi des vins mousseux se soit déjà répandu en Corée ; ce à quoi notre marchand de faux répond que les Coréens sont les plus grands ivrognes de l’Extrême-Orient. Ils n’ont point encore l’opium pour troubler leur raison, mais l’eau-de-vie de riz leur suffit fort bien. Les distilleries coréennes absorbent de si grandes quantités de grains qu’aux époques de mauvaise récolte, le gouvernement a dû, à plusieurs reprises, faire fermer ces établissements, dans la crainte que leur consommation énorme de riz ne transformât la disette en une épouvantable famine.

Mouchachia, — c’est le nom de notre marchand, — nous avoue qu’il est fort aise de cheminer avec nous ; car, nous dit-il, ces sauvages Coréens ne lui inspirent que fort peu de confiance, surtout lorsqu’il porte sur lui un Pactole en miniature. Pour nous prouver que l’opinion qu’il se fait des habitants du pays n’est point malveillante, il nous décrit, en termes affreux, une séance de torture à laquelle il a assisté, dans le tribunal d’une petite ville coréenne. C’est là, au reste, un sentiment de dédain que nous avons retrouvé chez presque tous les Japonais qui habitent Fou-sang. Les sujets du Mikado oublient trop facilement qu’hier encore ils vivaient sous un régime féodal d’un absolutisme inconnu en Occident. Alors la torture était sans cesse appliquée par les seigneurs, et, d’un bout à l’autre de l’archipel japonais, leurs soldats se livraient de sanglants combats, tandis que leurs maîtres, sur l’ordre de leur suzerain, s’ouvraient le ventre selon toutes les règles du code de l’honneur japonais, qui n’était, après tout, ni beaucoup plus sot, ni beaucoup plus barbare que celui de la plupart des nations occidentales. La facilité avec laquelle les Japonais