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garde bien de rire de la fuite précipitée de ses compatriotes. Il m’explique que, dans son pays, les femmes, surtout celles des hautes classes, vivent un peu comme leurs sœurs de Turquie. D’abord, comme elles, elles sont renfermées dans une partie séparée de l’habitation de leur seigneur et maître, qui peut en posséder autant que ses moyens lui permettent d’en entretenir ; puis, lorsqu’elles sortent, elles cachent leurs visages sous un grand voile appelé en coréen katsouki. Avant leur mariage, elles ne voient jamais les jeunes gens de leur âge, et après, elles n’ont que fort peu de relations avec leurs parents ou avec les amis de leur mari. Cependant, il paraîtrait que malgré leur isolement les jeunes filles coréennes exercent une grande influence dans les affaires domestiques de leur famille.

Bien entendu, polygamie et voile ne sont usités que dans les hautes classes ; quant à la femme du peuple, elle court par les rues, portant à la main un petit panier, et se livre aux plus rudes travaux, comme ses compagnes de la Chine, que j’ai vues quelquefois attelées à la charrue. Ces pauvres déshéritées portent le même costume que les hommes, et leurs traits accentués leur démarche alourdie, font qu’il nous est fort difficile de les distinguer de ces derniers.

Malgré la polygamie, le divorce est permis par les lois coréennes. Il est des plus fréquents par suite d’incompatibilité d’humeur. Le lecteur n’en sera nullement étonné lorsqu’il aura lu le récit que me fit Zoï, — mon guide, — de son propre mariage.

« J’avais douze ans, me dit-il, lorsque mon père se mit en quête d’une famille d’une situation correspondant à la mienne, et ayant une fille de six ou sept ans qui pourrait devenir ma femme. Après bien des recherches et des réflexions, il se décida à faire faire des ouvertures, par un de nos amis, à un contrôleur d’impôts qui habitait une petite ville voisine de mon pays natal. Auparavant, ma mère, suivant la coutume du pays, avait été faire une visite à ma future belle-mère, afin de voir, par elle-même, si la femme qu’on me destinait n’était ni trop vieille, ni bossue ou bancale.

« C’est que, voyez-vous, chez nous, on considère comme un déshonneur, presque aussi grand que d’épouser une veuve, de prendre une femme difforme.

« Une fois que tout fut arrangé entre ma famille et celle de ma fiancée, mon père s’en fut chez un astrologue célèbre pour lui