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Devant la porte deux Coréens se tiennent, l’un couché à terre, et l’autre assis sur un escabot ; ils fument leur pipe, et certes un habitant de Paris les prendrait pour de bonnes gens qui prennent l’air sur le seuil de leur demeure ; pour moi, qui ai déjà quelque expérience des mœurs militaires des Asiatiques, je crois reconnaître, à leur air endormi, ces fameuses sentinelles que l’on rencontre au coin de chaque rue de Pékin. J’appris dans la suite que je ne m’étais point trompé sur leur compte, et que nos deux fumeurs étaient chargés de défendre, sans autres armes qu’un tuyau de pipe et un éventail, la ville contre les malfaiteurs.

À notre approche, un gros homme court, dont le costume différait de celui de tous les Coréens que nous avions vus jusque-là, sortit du corps de garde et prit langue avec notre guide. Pendant leur entretien, il me fut possible d’examiner le costume du chef des gardes ; il était vêtu d’une longue robe d’un blanc légèrement bleu, comme tous les mandarins ses collègues ; seulement, autour de la taille, il portait une espèce de cuirasse jaune dont la surface était travaillée de façon à imiter des écailles de poisson, et par-dessus cette arme défensive, une longue ceinture de soie rouge faisait plusieurs fois le tour de sa volumineuse personne et retombait, en deux longues traînes, qui flottaient derrière lui dès qu’il se mettait à marcher.

Le chef des gardes, après avoir bien interrogé notre guide au sujet de nos intentions pacifiques, nous donna cinq soldats comme escorte et un interprète, Dokouso, qui, à ma demande expresse, parlait chinois et japonais, ce qui me permettait de lui parler sans avoir à passer par l’entremise, souvent peu fidèle, de notre cicérone.

Tout ici se fait avec une lenteur asiatique, et lorsque nous nous trouvons enfin dans Toraï-fou, munis d’un passe-port d’une escorte et d’un interprète, nous nous apercevons que nos estomacs ne nous laisseront pas même le temps de nous orienter dans la ville. Je demande alors à notre guide coréen s’il connaît une auberge où nous pourrions déjeuner, mais il me répond franchement que jamais les hôteliers de l’endroit ne consentiront à recevoir chez eux, des diables comme nous parce que cela leur ferait perdre leur clientèle, qui croirait que nous avons jeté un mauvais sort sur leur établissement. Force nous est donc de nous laisser conduire par lui dans un palais officiel où nous finissons, vu la