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de la tête que dut faire le vieux diplomate en apercevant ses deux caractères impériaux, le soleil monte sur l’horizon, et inonde la baie de clarté. Nos pauvres chevaux marchent de plus en plus lentement ; leur fatigue se traduit par de nombreux faux pas qui ne sont point sans inconvénient pour ceux qui les montent.

À ce moment le paysage devient tout à fait pittoresque. Devant nous, le petit village de Sorio, avec ses maisons grises ; derrière lui, une ligne de collines arides sert de fond au tableau, et à notre droite les champs étendent leurs vagues vertes, qui ne sont séparées des flots bleus de la baie que par une étroite bande de sable étincelante comme de l’or sous un soleil de midi. Après avoir traversé le village de Sorio, où nous ne faisons guère sensation, tant ses habitants ont vu passer depuis deux ans, de Japonais déguisés en européens, notre guide nous fait quitter le grand chemin pour nous conduire, à travers champs, par des endroits qu’il nous assure être beaucoup plus jolis que ceux que traverse la route royale de Fou-sang à Toraï-fou. Nous n’avons pu juger si, au point de vue du pittoresque, notre cicérone disait vrai, car nous parcourûmes l’autre voie pendant la nuit ; mais il avait bien raison pour ce qui est de l’accidenté, et nos pauvres membres eurent trop souvent l’occasion d’en juger par eux-mêmes. Nos poneys, qui tenaient à peine debout sur une route plate et presque bien entretenue, furent pris d’une belle ardeur lorsque nous les lançâmes au tout petit pas à travers un grand champ d’une verdure qui devait être quelque céréale en herbe ; chemin faisant, ils se régalaient d’une touffe de tiges tendres qu’ils mangeaient tout en marchant ; malheureusement cette attachante occupation leur enlevait toute prudence ; ils oubliaient de lever les jambes chaque fois que l’insidieuse verdure cachait sous ses feuilles un mouvement de terre ou une grosse pierre. D’abord ce fut moi qui ouvris la marche ; ma bête fit un faux pas si maladroit qu’elle s’étendit au milieu de l’herbe, entraînant avec elle son cavalier ; je me remis en selle, après m’être assuré que rien n’était gravement avarié dans mon individu, mais trois pas plus loin une nouvelle chute commença à me donner un certain dégoût pour l’équitation coréenne. Cependant, je continuai encore ma route sur mon poney, et ce ne fut qu’après deux ou trois chutes que je me décidai à continuer à pied, à la grande joie de mes compagnons qui se prélassaient sur leur monture.