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sujets qui viennent s’agenouiller devant l’autographe de leur souverain le jour de sa naissance et lors des grandes fêtes populaires. L’explication du discours de notre cicérone, que je viens de donner, me paraît d’autant plus plausible qu’il existe aussi en Chine, dans toutes les villes importantes, des temples dédiés au Fils du Ciel, c’est-à-dire à l’empereur de Chine, où les mandarins se rendent en grande pompe, à certaines époques de l’année, pour assister à une cérémonie célébrée en l’honneur de leur maître. Puis ces mêmes Chinois qui, comme les Coréens, ne voient jamais leur souverain, portent, eux aussi, le plus grand respect pour tout caractère d’écriture tracé par son auguste main. Les plus grands fonctionnaires de la cour de Pékin ne reçoivent qu’à genoux les décrets signés par l’empereur. Il n’est donc point étonnant que les Coréens, qui ont emprunté presque tous leurs usages à leurs puissants voisins, aient aussi un culte pour leur roi, et traitent avec le respect dû à une sainte relique les caractères écrits par lui.

En quittant le temple, la route recommence à étendre devant nous sa monotonie poussiéreuse. Aussi, comme le respect des Coréens et des Chinois pour tout ce qui est écrit par leurs empereurs m’avait rappelé à la mémoire une anecdote assez plaisante, qui me fut contée à Pékin, je m’empresse de la répéter à mes compagnons de voyage, dans l’espoir de les empêcher de se laisser aller au spleen. Comme elle pourra paraître amusante aux lecteurs d’Occident, même sans l’accompagnement d’une route poussiéreuse et d’un soleil tropical, je vais la rapporter ici.

Il y avait une fois, dans la bonne ville de Pékin, une certaine Excellence qui y représentait, en qualité de ministre, une grande puissance occidentale. Sous le rapport de l’intelligence, il représentait, paraît-il, fort bien son pays. Quoiqu’il n’eût rien de commun avec la patrie de Racine, et encore moins avec la Picardie, on aurait pu mettre cependant fort justement aussi dans la bouche de cet envoyé extraordinaire la phrase de Petit-Jean dans les Plaideurs :

Tout Picard que j’étais, j’étais un bon apôtre
Et je faisais claquer mon fouet tout comme un autre.

Notre homme, qui connaissait fort bien ses Chinois et qui, de plus, avait un tour d’esprit très pratique, savait d’expérience que chaque fois que l’on fait un cadeau à un mandarin, ce dernier, pour ne pas laisser échapper une aussi belle occasion de faire la charité à un