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ville tomba au pouvoir des soldats du Mikado, elle se hâta d’intervenir afin d’amener les envahisseurs à se retirer, dès que satisfaction leur aurait été donnée. Puis, une fois le présent assuré, le cabinet de Pékin songea à pourvoir à l’avenir de son vassal, trop faible pour résister aux dangers qui le menaçaient. Après avoir mûrement réfléchi sur les meilleurs moyens à employer, à seule fin d’empêcher les Japonais de s’annexer la presqu’île coréenne, Li-Hongtchang, le plus habile homme d’État de l’Empire du Milieu, acquit la conviction que la seule ressource, qui restait à essayer, était d’ouvrir la Corée aux étrangers, ouverture qui aurait très certainement pour résultat d’arracher ce pays à l’influence exclusive de la cour de Tokio.

Une fois le choix du moyen fait, il s’agissait de l’appliquer alors qu’il en était encore temps. Dans ce but, le commodore américain Shuffieldt fut prié de se rendre à Séhoul pour s’y aboucher avec le roi de Corée, et obtenir de lui un traité, à l’aide des bons offices du délégué chinois qui avait été chargé de maintenir la paix entre Japonais et Coréens. Le récit que j’ai donné, dans les lignes précédentes, montre jusqu’à quel point la savante manœuvre de la diplomatie chinoise a donné les résultats qu’on en attendait à Pékin. Le traité américain, le premier négocié, a été le seul, et est probablement le dernier, qui ait reconnu la suzeraineté de la Chine sur la Corée. Au point de vue théorique, on peut donc dire que les mandataires du Fils du Ciel ont fait fausse route. Reste à savoir maintenant si, au point de vue pratique, l’ouverture de la Corée aux étrangers empêchera les Japonais de s’établir solidement dans ce pays ? Il est facile de présumer que, sous ce rapport, les espérances du cabinet de Pékin devront, tôt ou tard, se réaliser, et que son vassal ne tardera pas à échapper complètement à l’influence des deux grandes puissances asiatiques, pour devenir un facteur nouveau de la question d’Orient.

Depuis longtemps déjà, la Russie tend à accroître ses possessions dans l’Asie orientale, en reportant de plus en plus vers le sud les frontières de la Sibérie, et déjà cette politique lui a donné pour voisine la Corée. En agissant de la sorte, le Palais d’hiver n’obéit nullement à un vain désir d’accroître l’étendue d’un empire déjà beaucoup trop vaste, mais il est entraîné par une impulsion raisonnée aussi bien qu’instinctive. Les ports russes du Pacifique, comme ceux de la Baltique, sont bloqués par les glaces pendant cinq mois