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le sang de ses missionnaires et de ses marins. Nous sommes enfin en vue du port, but de notre voyage ; dans quelques heures nous aurons foulé la terre coréenne, et nous pourrons alors retourner bravement dans les salons de Paris et de Londres, bien sûrs d’avoir désormais des choses peu connues à raconter, sans avoir à craindre des narrateurs rivaux.

À cinq heures du soir, l’entrée du port de Fou-sang-kai est en vue ; à droite, une petite île élevée ferme la baie ; à gauche, la terre ferme étend, à perte de vue, sa nudité et sa tristesse, laissant entre elles un chenal large de cinq ou six cents mètres, coupé en deux par un récif à fleur d’eau. Ce rocher nain n’est pas sans nous causer quelque inquiétude ; nous en sommes réduits, pour le moment, à nos cartes, notre pilote japonais n’ayant jamais étendu jusque-là le champ de ses connaissances. Aucune d’elles ne porte trace du point noir qui barre le chenal sur lequel nous voyons la vague se briser, de manière à nous faire supposer que le sournois ne nous montre que le bout de son nez pour nous ménager une désagréable surprise.

À l’approche du danger, nous ralentissons encore notre marche ; les sondeurs sont doublés de nouveau sur les deux bords, et tout le personnel de la machine est à son poste, prêt à changer notre vitesse ou notre direction au premier signal. Enfin, nous franchissons sans accident le redoutable passage, et nous voici dans la baie de Fou-sang, entourés presque de toutes parts par la terre coréenne. Tout d’abord, un autre point noir vient troubler un instant la joie d’être arrivés au but de notre voyage ; mais bientôt le sujet de nos inquiétudes s’approche de nous assez près pour nous permettre de distinguer un gros paquet de paille. Complètement rassurés, nous laissons notre ancre mordre à belles dents la plage coréenne, et pendant que l’on prépare les embarcations, nous examinons le paysage qui se déroule autour de nous.

La baie de Fou-sang est formée par l’embouchure d’une petite rivière appelée la Sorioko, qui est protégée des vents du large par l’île de Zékei, dont nous avons parlé tout à l’heure, et qui, par son élévation, sert de phare naturel à l’entrée de la baie. Dans les cartes de l’amirauté française, cette île est désignée sous le nom d’île de Deer ou du Daim, appellation qui semblerait avoir une origine anglaise ou américaine. Quoi qu’il en soit, là encore, les géographes ont cru, dans un but de flatterie, devoir donner à ces pays des noms