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réclamé de Coullery des comptes clairs : n'en pouvant obtenir, elles avaient déclaré qu'elles ne paieraient rien avant de les avoir reçus. La Section de la Chaux-de-Fonds, prenant fait et cause pour Coullery, avait alors décidé l'envoi à Genève de deux délégués , qui furent Coullery et un autre citoyen ; ces délégués s'étaient présentés devant le Comité central des Sections genevoises (juin 1868) ; il y avait eu des explications assez vives, à la suite desquelles, néanmoins, on parut s'être entendu, et il sembla que l'affaire était arrangée. Elle ne l'était nullement ; les récriminations recommencèrent bientôt de part et d'autre, et, dans le courant de septembre, les Genevois finirent par proposer à toutes les Sections de la Suisse romande le transfert du journal à Genève. Coullery, qui, en sa qualité de propriétaire-rédacteur, écrivait dans la Voix de l'Avenir tout ce qu'il voulait, publia alors, dans le numéro du 27 septembre, une longue diatribe contre le Comité central genevois. Cette façon de porter devant le public des querelles d'intérieur suscita à Genève une grande colère ; et le sentiment d'hostilité qui se manifestait à l'égard de Coullery fut accru encore par l'attitude qu'il venait de prendre à l'égard des résolutions du Congrès de Bruxelles.

En effet, dans ce même numéro de la Voix de l'Avenir où il attaquait le Comité de Genève, Coullery avait publié un article sur le Congrès, où il disait :


Le Congrès de Bruxelles a pris deux résolutions qui feront du mal à l'Internationale.

Il a proclamé que la propriété foncière devait être collective. C'est le communisme. C'est la négation de la propriété individuelle. C'est l'école de Colins qui a remporté cette victoire. Ce sont les Belges, élèves de Colins, Belge lui-même, qui ont remporté cette victoire. Cette victoire leur était facile, leurs délégués étaient en majorité... La théorie de Colins, des Belges, est fausse... Toute association ne peut reposer que sur la liberté individuelle, et sur la propriété individuelle foncière et mobilière. La théorie de Colins, la théorie que les Belges ont fait voter malgré les protestations des délégués des autres pays, est contraire à la nature humaine.... L'instinct des ouvriers guidé par la discussion et l'étude en fera justice.

Une autre résolution regrettable est celle qui refuse à la Ligue de la paix le concours de l'Internationale[1]. Ce vote est contraire aux résolutions de Lausanne. Il est contraire aux résolutions prises au Congrès de la paix [à Genève]. Il est contraire au bon sens. Pourquoi dédaigner les efforts de la Ligue de la paix, si ces efforts tendent vers le but que se propose l'Association internationale des travailleurs ?

Ces deux votes sont le résultat de ce fait que le Congrès a eu lieu à Bruxelles. C'est l'opinion ou les théories des Belges qui ont prévalu. Et les Belges étaient les plus nombreux. Et ils étaient les plus nombreux, parce que le Congrès avait lieu en Belgique.

Dans les têtes belges, il y a deux courants d'idées complètement opposés.

Ils sont colinsiens et proudhoniens.

Et ces deux hommes sont antipodes... Colins est un despote. Proudhon est un anarchiste. Colins est centralisateur, unitariste à outrance, Proudhon est décentralisateur, individualiste sans bornes. Et pourtant les Belges sont à la fois proudhoniens et colinsiens.

  1. On a vu plus haut (p. 65) que Coullery avait écrit au Congrès de Bruxelles pour demander à faire partie de la délégation que l'Internationale, croyait-il, devait envoyer au Congrès de Berne.