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Un autre acte, fort important, du Congrès de Bruxelles, fut l'attitude qu'il prit à l'égard de la Ligue de la paix et de la liberté. Cette Ligue, dont le second Congrès devait se réunir à Berne le 21 septembre 1868, avait invité l'Internationale à s'y faire représenter officiellement[1]. Cette fois, la très grande majorité des délégués estima qu'il n'y avait pas lieu d'accepter une invitation de ce genre ; elle résolut de déclarer qu'à ses yeux la Ligue n'avait pas de raison d'être, attendu que l'Internationale suffisait ; et que les membres de l'Internationale qui se rendraient au Congrès de Berne n'y représenteraient qu'eux-mêmes et ne pourraient y parler au nom de l'Association des travailleurs. En conséquence, le Congrès adopta la résolution suivante, contre laquelle trois voix seulement se prononcèrent[2] :


Le Congrès décide :

1° Que les délégués de l'Association internationale qui se rendront à Berne porteront à l'assemblée, au nom de l'Internationale, les différentes résolutions prises aux Congrès de Genève, de Lausanne et de Bruxelles ; mais que toutes discussions, toutes résolutions qui y seront prises n'engageront que leur responsabilité personnelle ;

2° Que les délégués de l'Internationale croient que la Ligue de la paix n'a pas de raison d'être, en présence de l'œuvre de l'Internationale, et invitent cette société à se joindre à elle[3], et ses membres à se faire recevoir dans l'une ou l'autre Section de l'Internationale.


Un fait peu connu, c'est que les membres de la seconde Commission parisienne de l'Internationale, à ce moment détenus à Sainte-Pélagie à la suite de leur condamnation à trois mois de prison, crurent devoir protester contre ce vote du Congrès de Bruxelles, et envoyèrent aux membres du Congrès de Berne l'Adresse suivante :


Aux membres du Congrès de Berne.
Citoyens,

En présence de la résolution prise par le Congrès de Bruxelles, relativement à la Ligue de la paix et de la liberté, les soussignés, membres de l'Association internationale, pensent :

1° Qu'au point de vue des principes qui font la base de l'Association internationale, les délégués, envoyés au Congrès pour délibérer sur un ordre du jour déterminé, n'avaient pas mandat de prendre une résolution de cette importance sans consulter leurs groupes ;

2° Qu'au point de vue de la liberté dont nous poursuivons la conquête, le droit de se croire la seule expression des aspirations d'une époque ne peut appartenir à aucune association isolée ;

  1. On trouvera plus loin (p. 72) la lettre adressée au président du Congrès de Bruxelles par le président du Bureau de la Ligue.
  2. L'un des trois opposants était De Paepe ; les deux autres étaient Perron et Catalan. Mais d'autres délégués encore, absents au moment du vote, étaient loin de penser que l'existence de la Ligue de la paix fût inutile : entre autres Charles Longuet, qui, l'année suivante, en 1869, continuait à faire partie de la Ligue et se rendit au Congrès tenu par elle à Lausanne cette année-là.
  3. Le Compte-rendu officiel du Congrès de Bruxelles fait observer, dans une note, que des journaux avaient imprimé, à la place des mots « à se joindre à elle », les mots « à se dissoudre », et, dans la première ligne de ce même alinéa, le mot « déclarent » à la place du mot « croient », et il ajoute : « C'est par erreur que l'on a lu en séance publique un manuscrit sur lequel on avait oublié de modifier ces deux expressions, qui dépassaient la pensée de la commission ».