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L'acte principal du Congrès de Bruxelles fut son vote dans la question de la propriété foncière. Cette question avait fait l'année précédente, au Congrès de Lausanne, l'objet d'un échange de vues ; et De Paepe s'était trouvé à peu près seul à défendre l'opinion « collectiviste ». Cette fois le sujet fut sérieusement étudié ; une commission de neuf membres présenta au Congrès un projet de résolution disant en substance : Les mines, houillères, carrières, etc., ainsi que les chemins de fer, doivent appartenir à la collectivité sociale ; il doit en être de même du sol arable, des canaux, routes, lignes télégraphiques, et autres voies de communication, et des forêts. Sur une cinquantaine de délégués, trente se prononcèrent en faveur de la résolution, savoir : huit Anglais, quatre Français, quatre Allemands, un Italien et treize Belges ; cinq votèrent contre : un Français et quatre Belges ; les autres, une quinzaine, s'abstinrent[1]. Il fut convenu que la question serait de nouveau mise à l'étude, pour être replacée à l'ordre du jour d'un autre Congrès.

On a souvent dit qu'au Congrès de Bruxelles il n'avait été question que de la propriété collective du sol, et que ce qui concerne l'outillage de la production, machines, etc., avait été laissé en dehors du débat. C'est une erreur. La question des machines avait fait l'objet d'un débat spécial, et les délégués avaient été unanimes à déclarer que les machines, ainsi que tout l'outillage social, devaient appartenir non aux capitalistes, mais aux travailleurs. Le rapport de la Section bruxelloise s'exprimait ainsi : « Le jour où les machines cesseront d'être le monopole exclusif du capital et passeront, avec tous les autres instruments de travail, aux mains des ouvriers constitués en associations agricoles et industrielles, ce jour-là le travailleur sera affranchi, la paix conclue, et la justice régnera. » Le mutuelliste Tolain avait dit : « Dans une nouvelle organisation, le crédit mutuel établi, le salariat tendra à disparaître et donnera (sic) l'outil à l'ouvrier ». Le Congrès vota, sur ce point, la résolution suivante :


Considérant que, d'un côté, la machine a été l'un des plus puissants moyens de despotisme et d'extorsion dans les mains du capitaliste, et que, d'autre part, les développements qu'elle acquiert doivent créer les conditions nécessaires pour la substitution d'un système de production vraiment social au système du salariat ;

Considérant que la machine ne rendra de véritables services aux travailleurs que lorsqu'une organisation plus équitable l'aura mise en leur possession ;

Le Congrès déclare :

1° Que ce n'est que par les associations coopératives et par une organisation du crédit mutuel[2] que le producteur peut arriver à la possession des machines ;

2° Que néanmoins, dans l'état actuel, il y a lieu pour les travailleurs constitués en sociétés de résistance d'intervenir dans l'introduction des machines dans les ateliers pour que cette introduction n'ait lieu qu'avec certaines garanties ou compensations pour l'ouvrier.

  1. L'abstention des délégués suisses était due à ce que leur mandat ne contenait pas d'instructions sur la question ; mais la plupart d'entre eux étaient revenus du Congrès convertis à l'idée collectiviste. Fritz Robert écrivit, pour faire connaître le débat sur la propriété collective, un compte-rendu du Congrès de Bruxelles, dont le commencement fut publié dans quatre numéros successifs de la Voix de L'Avenir (4-23 octobre 1868) ; la suite de ce compte-rendu parut, sept mois plus tard, dans l’Égalité (numéros du 10 avril au 12 juin 1869).
  2. On voit que, unanimement collectiviste sur la question du but à atteindre, le Congrès, dans sa majorité, restait mutuelliste en ce qui concerne l'indication des moyens à employer.