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souscriptions, et des sommes plus ou moins importantes furent versées[1]. Un délégué genevois, Graglia, ouvrier graveur, fut envoyé à Paris et à Londres ; les ouvriers de Paris, répondant à l'appel chaleureux de la Commission parisienne (appel signé par Varlin, publié le 5 avril), participèrent largement aux frais de la grève ; par contre, Graglia parle avec amertume, dans ses lettres[2], de l'attitude égoïste des Trades Unions anglaises, « véritables forteresses », desquelles il ne put obtenir aucun secours. C'est à l'occasion de cette grève que l'on vit paraître pour la première fois, dans la presse adverse, les contes ridicules sur les menées occultes de l'Internationale et sur les trésors fantastiques dont elle disposait : il n'était question, dans les colonnes de certains journaux, que de « meneurs étrangers », d' « ordres venus de Paris et de Londres », de « sommes énormes mises par l'Internationale à la disposition des grévistes », etc.

Devant la formidable unanimité des ouvriers de Genève, les patrons comprirent qu'il fallait céder ; ils consentirent à traiter avec leurs ouvriers, et ceux-ci obtinrent presque tout ce qu’ils avaient demandé (premiers jours d'avril). Mais, en signant le nouveau tarif, les patrons songeaient déjà au moyen de l'éluder, et leur mauvaise foi devait bientôt rendre une nouvelle grève inévitable.

L'homme qui avait été le principal « meneur » de la grève, et qui, tant par son énergie que par ses qualités pratiques et par sa parole d'une éloquence mâle et brusque, joua durant un temps, à Genève, le premier rôle dans le mouvement socialiste, était un serrurier savoyard, François Brosset. Après avoir été à la tête des ouvriers du bâtiment dans leur lutte contre les patrons, il fut encore leur défenseur lorsqu'il fallut résister aux prétentions de certains membres des comités des Sections de la « fabrique » qui voulaient diriger l'Internationale genevoise, et qui, après deux ans de luttes et d'intrigues, finirent, comme on le verra dans la suite de ce récit, surent arriver à leurs fins. Je place ici un portrait de Brosset qu'a tracé Bakounine, dans un manuscrit resté inédit, rédigé en juillet 1871, que j'ai en ma possession :


Nous n'avons pas besoin de dire quel homme est Brosset. Alliant une réelle bienveillance et une grande simplicité de manières à un caractère énergique, ardent et fier, intelligent, plein de talent et d'esprit, et devinant souvent, par l'esprit, les choses qu'il n'a pas eu le loisir ni les moyens de reconnaître et de s'approprier par l'étude, passionnément dévoué à la cause du prolétariat, et jaloux à l'excès des droits populaires, ennemi acharné de toutes les prétentions et tendances autoritaires, c'est un vrai tribun du peuple. Extrêmement estimé et aimé de tous les ouvriers du bâtiment, il devint en quelque sorte leur chef naturel, et lui seul ou presque seul, tant dans les comités que dans les assemblées générales, il tint tête à la fabrique. Pendant plusieurs mois, et notamment depuis la fin de la grande grève de 1868, en avril, jusqu'à son élection comme président du Comité fédéral romand, en janvier 1869, il resta sur la brèche. Ce fut la période héroïque de son activité dans l'Internationale. Dans le

  1. Ainsi, un groupe de vingt membres de la Section du Locle souscrivit d'enthousiasme, le 21 mars, une somme de 1500 fr., pour la réalisation de laquelle chacun des souscripteurs (ouvriers, employés, horlogers établis à leur compte, professeurs, etc.) avait promis de s'imposer pendant six mois une retenue sur ses salaires, ses appointements ou son gain, retenue variant de cinq à trente francs par mois. Le chef d'un atelier de graveurs, M. Édouard Favre-Dubois, avança, sur le montant de cette souscription, une somme de 600 fr., qui fut envoyée à Genève le jour même.
  2. Elles figurent au procès de la seconde Commission parisienne de l'internationale.