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commun[1]. Je fus heureux de le rencontrer et d'échanger avec lui une fraternelle poignée de main. Nous causâmes des tendances et de l'esprit du Congrès, de la couleur socialiste de quelques-uns des discours, de la répugnance d'une certaine partie de l'assemblée à l'endroit de la réforme sociale.

« Pour moi, nous dit Chaudey, je crois qu'il sera très facile de s'entendre et d'amener une conciliation complète. Vous êtes venus ici pour poser la question sociale à côté de la question politique ; vous craignez de rencontrer de l'opposition chez les démocrates bourgeois : eh bien, je suis sûr que la majorité de l'assemblée est bien disposée pour vous, et je me charge de porter à la tribune les termes d'une transaction qui sera acceptée par tous. »

Il nous développa ses idées, et nous nous séparâmes après avoir expressément donné à Chaudey le mandat d'intervenir le lendemain dans la discussion comme tiers, et de faire une tentative de conciliation entre le socialisme de Lausanne et la démocratie politique bourgeoise, initiatrice du Congrès de la Paix.


Après souper[2], De Paepe et moi cheminions côte à côte dans les rues Basses, lorsqu'un passant nous arrête et nous saute au cou avec une vivacité tout italienne. C'était notre vieux papa Stampa, qui nous embrassa et nous serra la main avec effusion. Nous n'eûmes pas besoin de l'interroger sur les causes de ce transport ; il prévint nos questions, et nous dit d'une voix tout émue :

« Mes amis, que je suis heureux ! Je viens de souper avec Garibaldi, et maintenant je sais tout ! Ceci est une confidence que je vous fais, mais que je ne fais qu'à vous : j'ai besoin d'en parler à quelqu'un. Au dessert, Garibaldi m'a pris à part et m'a dit : Avant la fin du mois, nous serons à Rome ! ! !  »

De Paepe et moi poussons une exclamation de surprise. Stampa nous raconte en détail le souper et les conversations, et l'on comprendra que je m'abstienne de reproduire cet entretien. Quant à la révélation des projets de Garibaldi sur Rome, nous l'avons religieusement gardée pour nous aussi longtemps qu'il a pu être nécessaire ; mais aujourd'hui que la tentative des révolutionnaires italiens a fini par une si triste catastrophe[3], et que l'Europe connaît tous les détails de cette lugubre histoire, j'ai cru pouvoir dire ce que Stampa nous avait appris : c'est que Garibaldi, en venant au Congrès de Genève, avait déjà arrêté son plan de campagne, et que, lorsqu'il signifiait aux applaudissements de son auditoire la déchéance de la papauté, il avait déjà la main sur la garde de son épée pour exécuter l'arrêt prononcé par lui et ratifié par la démocratie européenne.

Stampa ajouta que Garibaldi désirait nous voir, nous et nos amis, le lendemain à huit heures, avant son départ. Il avait dit à Stampa : « Je voudrais surtout voir ce jeune homme (Dupont) qui a parlé de religion nouvelle et qui m'a contredit ; j'aurais bien des choses à lui dire ».

Nous promîmes de nous rendre le lendemain au Palais Fazy, et

  1. Gustave Chaudey avait rédigé à Neuchâtel pendant plusieurs années le journal l’Indépendant. L'ami commun était M. David Perret père.
  2. Après le dîner.
  3. Le combat de Mentana, où « les chassepots firent merveille » (3 novembre 1867).