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ou des intrigants, et qu’une fois la proposition votée et insérée comme article de foi dans la Bible de l’Internationale (textuel), tout international serait tenu de se conformer au programme politique qui y est tracé, sous peine d’expulsion. Nous serions curieux de savoir ce que pense la Section romande de la Chaux-de-Fonds des opinions de son mandataire Vaillant.

Hepner, du Volksstaat, déclare que les internationaux qui, en Suisse, ne vont pas voter aux élections politiques, sont les alliés du « mouchard » Schweitzer en Prusse, et que l’abstention du vote conduit directement au bureau de police. Lors de la guerre franco-allemande, les « abstentionnistes » devinrent en Allemagne les plus ardents patriotes prussiens, et il en est de même partout. On prétend que le Conseil général impose une doctrine ; cela est faux : il n’a jamais rien imposé aux Allemands, et la doctrine politique contenue dans les publications du Conseil général s’est trouvée en parfaite harmonie avec les sentiments des ouvriers allemands, sans qu’il y ait eu besoin d’aucune violence. Hepner dit bien d’autres choses encore, ne traitant jamais la question de principe, mais racontant une série d’historiettes, les unes fausses, les autres servant de prétexte à de venimeuses et calomnieuses interprétations.

James Guillaume fut le seul délégué de la minorité à qui il fut permis de parler. C’était un passe-droit, car il y avait une quinzaine d’orateurs inscrits avant lui, entre autres les quatre délégués espagnols et plusieurs délégués belges et anglais ; il en fit l’observation, mais le président et la majorité insistèrent pour qu’il parlât. Comme nous le comprîmes plus tard, le plan du Conseil général était de faire exposer, en séance publique, les théories de l’opposition par la bouche de Guillaume, puis, à la fin du Congrès, de frapper d’expulsion celui qui avait été le porte-parole de la minorité, afin de faire croire au grand public que les principes de celle-ci n’avaient eu d’autre défenseur qu’un homme indigne de faire partie de l’Internationale.

La réponse de Guillaume fut très incomplète, parce que, faute d’une entente préalable avec ses collègues de la minorité, il ne put réunir tous les matériaux épars dans les mains des divers délégués qui se proposaient de parler contre la proposition. En outre, il répugnait à la minorité de produire en séance publique certaines lettres de membres du Conseil général, qui donnaient à la proposition sa véritable signification[1]. Guillaume se borna donc à un exposé général de la théorie fédéraliste et révolutionnaire, qu’il opposa à la doctrine exposée dans le célèbre Manifeste du parti communiste publié en 1848 par Marx et Engels ; la résolution IV de la Conférence de Londres, dont on propose l’insertion dans les Statuts généraux, n’est qu’un premier pas fait dans le sens de ce programme[2]. Rele-

  1. Il s’agit entre autres des lettres d’Engels, que Cafiero avait apportées.
  2. Dix-huit ans plus tard, Engels a condamné lui-même, — sans s’en apercevoir, — comme contraire à l’esprit qui avait présidé à la création de l’Internationale, cette tentative d’inscrire dans les Statuts généraux les thèses spéciales au programme marxiste :
    « L’Internationale, a-t-il écrit, se proposait d’unir en une seule et prodigieuse armée la totalité des ouvriers militants d’Europe et d’Amérique. C’est pourquoi elle ne pouvait pas prendre pour point de départ les principes déposés dans le Manifeste communiste. Il lui fallait un programme qui n’exclût ni les Trades Unions anglaises, ni les proudhoniens français, belges, italiens, espagnols, ni les lassalliens allemands. Le programme présenté dans l’exposé des motifs qui précède les Statuts de l’Internationale fut rédigé par Marx avec une maîtrise reconnue même de Bakounine et des anarchistes. Le triomphe final des propositions émises dans le Manifeste, Marx ne l’a jamais attendu que du seul développement intellectuel de la classe ouvrière, que devait amener l’action commune et la discussion en commun. » (Préface à une nouvelle édition du Manifeste communiste, 1ermai 1890.)
    Marx n’a pas eu, en 1871 et en 1872, l’attitude expectante que lui prête son panégyriste : il a voulu, au contraire, faire violence au prolétariat des pays qui n’acceptaient pas sa doctrine. Il s’est mis ainsi en contradiction avec la tactique de ce Marx idéal que glorifie Engels aux dépens du Marx réel.