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Sur ces soixante-sept délégués, deux ne furent pas admis (Joukovsky et West). Des soixante-cinq autres, quarante formèrent la majorité, vingt-cinq la minorité.

La Commission de vérification des mandats fut composée de sept membres : Marx, Ranvier, Fränkel, Mac Donnell, Dereure, membres de la majorité ; et deux représentants de la minorité, Gerhard et Roach. La majorité du Congrès avait décidé que, vu la situation exceptionnelle faite à l’Internationale par la loi française, les mandats émanés de Sections de France, mandats dont cinq membres du Conseil général étaient porteurs, ainsi que six autres délégués, ne pourraient être connus que des seuls membres de la Commission de vérification, et que le Congrès ignorerait jusqu’au nom des villes où se trouvaient ces Sections[1]. Il fallait donc accepter les yeux fermés tous les délégués qui se diraient envoyés par une Section de France ; toute investigation à leur égard nous était interdite, et nous devions nous en rapporter aveuglément aux agissements d’une commission composée en majorité de nos adversaires déclarés.


Voici quelques détails, empruntés pour la plupart au Mémoire de la Fédération Jurassienne, sur la manière dont avaient été recrutés les délégués destinés à composer la majorité dont Engels et Marx avaient besoin.

Les représentants des Sections américaines appartenant à la fraction dite du Tenth Ward Hôtel (opposée au Conseil fédéral de Spring Street) s’étaient réunis en Congrès à New York le 6 juillet 1872, et avaient élu comme délégués au Congrès de la Haye Sorge et Dereure. Une fois nommé, Sorge demanda qu’on lui remît, outre son mandat, une provision de mandats en blanc qu’il voulait emporter en Europe. Quelqu’un ayant fait une objection, Sorge, pour fermer la bouche à son contradicteur, montra une lettre de Marx ; à un pareil ordre, il n’y avait rien à répliquer. Sorge se fit donc donner une douzaine de mandats en blanc, qu’en arrivant à Londres il remit à Marx ; celui-ci les distribua à ceux des fidèles qui en eurent besoin. L’un de ces mandats de Sorge, venant d’une Section de Chicago, fut donné à un certain Maltman Barry, membre du Conseil général et, en même temps, correspondant du journal tory le Standard ; Marx, qui maintenant protégeait cet homme, avait dit de lui, quelque temps auparavant, qu’il le soupçonnait d’être un espion[2] ; mais quand il faut se faire une majorité on n’y regarde pas de si près. Un autre des mandats de Sorge, celui de la Section 8, fut donné à Hepner, rédacteur du Volksstaat[3] ; un autre, d’une Section de San Francisco, au blanquiste Vaillant, membre du Conseil général ; un autre, de la Section 6, à Engels ; un autre enfin, celui de la Section 1, fut gardé par Marx lui-même. Hermann Jung, ayant appris qu’on affirmait que Sorge avait montré une lettre de Marx réclamant des mandats en blanc, parla de la chose à Marx pour savoir si le fait était vrai ; celui-ci ne nia pas l’existence de la lettre : il se borna à dire que Sorge était un âne (ein dummer Esel) de l’avoir montrée[4].

  1. Cependant Ranvier avait cru devoir s’annoncer comme délégué d’une Section qui avait son siège à Paris et s’appelait la Section Ferré ; il racontait même, disait-on, qu’elle comptait trois mille membres.
  2. Circulaire envoyée aux Sections anglaises par le Conseil fédéral anglais en janvier 1873.
  3. Depuis que Liebknecht et Bebel étaient en prison, le Volksstaat, rédigé par le seul Hepner, et tombé sous l’influence d’Engels, se montrait particulièrement haineux à notre égard.
  4. Raconté par Jung lui-même au Congrès de la Fédération anglaise à Londres, le 26 janvier 1873. Dans une récente publication. Sorge, avec une inconscience naïve, a imprimé lui-même la lettre, du 21 juin 1872, où Marx lui demandait des mandats d’Amérique, en spécifiant qu’il faudrait des mandats allemands (c’est-à-dire des Sections allemandes des États-Unis) pour lui, Engels, Lochner, Pfändner et Lessner ; des mandats français pour Ranvier, Serraillier, Le Moussu, Vaillant, Cournet et Arnaud ; un mandat irlandais pour Mac Donnell. Lochner et Pfändner ne vinrent pas à la Haye, j’ignore pourquoi.