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À la sortie du Palais électoral, notre petite troupe alla s'installer dans le jardin d'une brasserie située sur la route de Carouge, et on se communiqua les impressions de cette première séance en buvant une chope de bière. Le discours de Garibaldi fut l'objet des plus vives critiques de la part de quelques-uns des Parisiens. Pour mon compte, je trouvai ces critiques exagérées, et il me parut qu'on avait mal saisi les intentions de Garibaldi et le véritable sens de sa religion de Dieu. Je dis qu'à mon avis il fallait interpréter cette expression en la rapprochant du discours prononcé quelque temps auparavant par le général au Cercle démocratique de Vérone.

« Moi aussi, avait-il dit en parlant de la Révolution française, je suis un admirateur de ce grand événement qui a été une véritable révolution, qui a renversé des autels les idoles et les simulacres du prêtre de Rome pour y substituer la déesse de la Raison, la vraie religion qui n'abrutit pas l'homme, la religion qui doit émanciper l'humanité. »

Comme la soirée était superbe, nous poussâmes ensuite jusqu'à Carouge, où nous fûmes très cordialement reçus par quelques membres de la Section internationale de cette ville. On nous conduisit dans le local de l'Association : là Tolain et Longuet déclamèrent des vers, je laisse à deviner de quel genre[1], et De Paepe chanta la chanson si touchante de la fille de l'ouvrier que la misère a condamnée à mourir :

Reprends ton vol, ange des cieux,
Et pour toujours ferme les yeux.

La nuit tombant, nous revenons à Genève par le tramway et nous allons souper chez notre ami le Polonais Czwierzakiewicz[2]. Là, Dupont, déchargé enfin des graves fonctions de la présidence du Congrès de Lausanne, rentre avec délices dans la vie privée, et se livre à des calembours si éplafourdissants, que Chemalé se voit contraint de proposer contre lui la peine de mort. Elle est votée à l'unanimité. La société, en considération des bons antécédents du coupable, consent néanmoins à la commuer en celle du silence à perpétuité...

Vers onze heures du soir, nous regagnâmes notre hôtel. Je me couchai très fatigué, tandis que De Paepe, sortant de sa valise plume et papier, se mit à écrire.

« Que fais-tu là ? lui dis-je.

— Ma correspondance.

— À ces heures ! Bien du plaisir. Pour moi, je dors. »

Et je m'endormis en effet, mais d'un sommeil agité. Quelques heures après, je me réveillai. La chandelle brûlait encore. De Paepe était toujours là, noircissant son papier.

Après l'avoir engagé à se coucher, je me rendormis pour ne plus m'éveiller qu'au jour.

En ouvrant les yeux, je vis De Paepe assis à sa petite table, et écrivant toujours. Il avait pris quelques heures de repos, et s'était levé avant moi pour se remettre au travail.

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  1. C'étaient des vers des Châtiments, de Victor Hugo.
  2. Généralement connu sous le pseudonyme de Card. Voir p. 7.