Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/632

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sienne des hommes qui ont lu, et lu avec l’attention qu’il mérite, le livre de son beau-père, tout gros qu’il soit. Ils l’ont lu, et ils ne sont pourtant pas devenus marxistes ; cela doit paraître bien singulier à ce gendre naïf. Combien y en a-t-il, par contre, au Conseil général, qui sont marxistes sans jamais avoir ouvert le livre de Marx !


Il fut fait un tirage à part du Bulletin du 15 juin 1872 en une petite brochure qu’on intitula : Réponse de quelques internationaux à la circulaire privée du Conseil général.

La lutte allait devenir de plus en plus violente après la publication de cette « circulaire privée » par laquelle la coterie dirigeante, à Londres, semblait avoir voulu jeter de l’huile sur le feu. Et cependant il y avait dans cette circulaire même, à l’avant-dernière page, une phrase qui semble avoir alors passé inaperçue, puisque personne ne la releva ; une phrase qui constatait de la façon la plus nette, la plus irréfragable, cette chose incroyable, et réelle pourtant : l’identité des aspirations finales des deux partis en lutte dans l’Internationale. Adversaires et partisans du Conseil général, « bakounistes » et « marxistes », avaient en réalité le même idéal ; et c’était Marx qui le proclamait, tout en nous anathématisant, dans un alinéa où il définissait l’anarchie de la même façon que nous :


Tous les socialistes entendent par Anarchie ceci : le but du mouvement prolétaire, l’abolition des classes, une fois atteint, le pouvoir de l’État, qui sert à maintenir la grande majorité productrice sous le joug d’une minorité exploitante peu nombreuse, disparaît, et les fonctions gouvernementales se transforment en de simples fonctions administratives.


Il est vrai que Marx s’obstinait ensuite à nous représenter — nous fédéralistes et par conséquent désireux de fédérer les travailleurs, de les grouper, de les organiser — comme les adversaires de toute organisation. Il continuait, tout d’une haleine :


L’Alliance[1] prend la chose au rebours. Elle proclame l’anarchie dans les rangs prolétaires comme le moyen le plus infaillible de briser la puissante concentration des forces sociales et politiques entre les mains des exploiteurs. Sous ce prétexte, elle demande à l’Internationale, au moment où le vieux monde cherche à l’écraser, de remplacer son organisation par l’anarchie. La police internationale ne demande rien de plus...


Cela signifie tout simplement que Marx refusait, de parti pris, d’entendre nos explications, et voulait absolument nous prêter des idées absurdes, pour les besoins de sa polémique ; mais puisque, sur ce point, il nie l’évidence, cela n’a pas d’importance, — pas plus que l’injure qui termine sa période. Nous soumes donc en droit de négliger cette seconde partie de son alinéa, et de ne retenir que la première, qui constate notre accord théorique.

On voit si je n’ai pas eu quelque droit de dire[2] qu’au fond Proudhon et Marx étaient d’accord, Proudhon ayant identifié lui-même son idéal de liberté et d’égalité avec « ce que les socialistes allemands appellent com-

  1. Dans les pamphlets de Marx, à cette époque, l’Alliance, je l’ai déjà dit, est un terme générique désignant tous ceux qui, dans l’Internationale, protestent contre les abus de pouvoir de la coterie de Londres : Eccarius, Jung et John Hales, comme Cafiero, Sentiñon et Bakounine, De Paepe et Hins comme Élisée Reclus et Mme André Léo, Lefrançais comme Schwitzguébel, les lassalliens d’Allemagne comme la jeunesse « déclassée et sans issue » d’Italie, tous sont des alliancistes.
  2. Le collectivisme de l’Internationale, Neuchâtel, 1904, pages 16 et suivantes.