peut-être été un peu précipité dans leur rédaction ; il faut l'attribuer à ce que je vais quitter bientôt cette terre d'asile et de liberté[1]. »
Garibaldi prend sur la table une feuille de papier, et applique un monocle à son œil droit. Vif mouvement de curiosité. Il lit d'une voix retentissante :
« Primo. — Toutes les nations sont sœurs.
« Secondo. — La guerre entre elles est impossible.
« Terzo. — Toutes les querelles qui peuvent survenir entre les nations seront jugées par le Congrès. »
On se regarde avec quelque étonnement. Garibaldi s'en aperçoit, et il ajoute :
« Vous me direz peut-être que je m'avance un peu trop. » (Sourires dans l'assemblée.)
Garibaldi continue :
« Quarto. — Les membres du Congrès seront nommés par les sociétés démocratiques de chaque peuple.
« Quinto. — Chaque nation aura droit de vote au Congrès, quel que soit le nombre de ses membres. »
Ces deux articles nous avaient laissés froids. Mais soudain l'œil de Garibaldi s'enflamme ; sa tête de lion, encadrée dans une barbe fauve et grise, se relève d'un air sublime, et d'une voix vibrante il s'écrie :
« Sesto. — La papauté, comme la plus pernicieuse des sectes, est déclarée déchue. »
Ceci était tout à fait inattendu. Des applaudissements frénétiques accueillirent cette déclaration ; la gauche surtout poussait des clameurs à faire crouler la salle. Cela se prolongea pendant un moment, et la démocratie européenne ratifia ainsi, à la face du monde, l'arrêt de déchéance de la papauté.
Le silence rétabli, Garibaldi reprit :
« Je ne sais si l'on dira que je m'aventure un peu trop en formulant un tel article. Mais à qui pourrais-je communiquer ma pensée, exprimer librement mes idées, si ce n'est à vous, peuple libre, — et vraiment libre », ajouta-t-il, après une pause, en reprenant son papier.
Mais un revirement inattendu allait succéder à cette explosion d'enthousiasme.
Garibaldi continue la lecture de ses articles :
« Settimo. — La religion de Dieu est adoptée par le Congrès... »
Ici, il est interrompu par un brusque mouvement d'étonnement. On entend même quelques exclamations.
« C'est une opinion que je soumets », dit Garibaldi. Puis il reprend : « La religion de Dieu est adoptée par le Congrès, et chacun de ses membres s'oblige à la propager sur la surface du monde. »
Impossible de dire la stupéfaction, la consternation soudaine produite par ces étranges paroles. Le respect empêcha les réclamations bruyantes ; mais un silence glacial remplaçant les applaudissements montra à Garibaldi qu'il venait de froisser les sentiments de la majorité de l'assemblée. Il voulut alors justifier son article :
- ↑ Garibaldi n'avait que deux jours à passer à Genève ; il devait repartir le mercredi matin.