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ci avait quitté Valencia et on ignorait sa nouvelle adresse. Lorenzo s’était retiré en juillet chez son ami Manuel Cano, à Vitoria, et n’y reçut la lettre que le 15 août ; il y répondit le 24 août. Sa réponse, qui s’est conservée dans les papiers de Bakounine, est évasive ; il venait d’abandonner son poste au Conseil fédéral espagnol (voir plus loin), pour ne pas se trouver mêlé plus longtemps aux luttes intestines qui menaçaient de détruire l’Internationale en Espagne : il ne se soucia pas d’intervenir dans la querelle entre Marx et Bakounine en acceptant le rôle que ce dernier lui demandait d’assumer. Il répondit :

« Compagnon Bakounine, ... Je ne puis préciser aucune des accusations dirigées contre vous par Outine... Ce que j’ai entendu sur vous a été dit dans les séances officielles de la Conférence, et se trouve dans des documents qui pourront être réclamés au prochain Congrès de la Haye : on y verra ce que vous désirez connaître, sans que j’aie à accuser personne au sujet de ce qui — à tort ou à raison, je n’en sais rien — a pu être dit contre vous ou contre d’autres ; j’éviterai ainsi de jouer le rôle de délateur... Je m’abstiens de discuter sur la question de principes. Je vous remercie de l’exposé que vous me faites de ceux que vous professez, parce que vous contribuez de la sorte à m’éclairer ; et je vous déclare à mon tour que mes principes, ou, pour mieux dire, ma conviction et ma conduite comme international consiste à reconnaître la nécessité de grouper, et à travailler à grouper, tous les travailleurs en une organisation qui, tout en constituant une force sociale pour lutter contre la société actuelle, soit une force intellectuelle qui étudie, analyse et affirme par elle-même, sans nécessité de mentors d’aucun genre, et surtout de ceux qui possèdent une science acquise par les privilèges dont ils jouissent ou dont ils ont joui, quelle que soit leur prétention de se poser en avocats du prolétariat[1]. »

Il existe une lettre de Bakounine à Morago (en français) dont Nettlau a retrouvé et publié plusieurs fragments (p. 283) ; le premier porte la date du 21 mai 1872[2]. Cette lettre montre surtout combien Bakounine avait été imparfaitement renseigné par ses amis de Barcelone sur ce qui se passait en Espagne ; il ne s’était pas du tout rendu compte du véritable caractère de la Alianza, association autochtone et nullement rattachée à une organisation secrète internationale. En s’adressant à Morago, auquel, il faut le noter, il écrivait pour la première fois, il évoque, comme il l’avait fait avec Lorenzo, le souvenir de Fanelli ; il parle à son correspondant de cette Alliance de 1868, au nom de laquelle Fanelli était allé faire de la propagande en Espagne et avait fondé la Section de l’Internationale de Madrid ; et dans un passage très intéressant, qu’on peut lire dans Nettlau, mais que je dois renoncer à reproduire, il expose la conception d’une organisation telle qu’avait dû être la Fraternité internationale.


L’attitude de Lafargue et de la Emancipación eut pour conséquence qu’à Madrid la guerre se ralluma de plus belle. Au commencement de juin, dans une séance de la Section des métiers divers, un membre, Felipe

  1. Nettlau, p. 590. — Au sujet de cette réponse, dont j’ai egalement envoyé copie à Anselmo Lorenzo sur sa demande (il en avait oublié le contenu), celui-ci m’a écrit, le 30 janvier 1906 : « Je retrouve bien dans cette réponse mes phrases habituelles, ce qu’on pourrait appeler mon style. Cette lecture m’a fait de la peine, parce que, sous l’impression des circonstances spéciales dans lesquelles je me trouvais, j’avais écrit avec une certaine dureté, bien éloignée de l’admiration et du respect que m’a toujours inspirés Bakounine. Démissionnaire du Conseil fédéral de Valencia, victime des inimitiés et des haines qu’avaient produites les dissidences, moi qui ai toujours fui les luttes personnelles, et me trouvant alors, par ces causes, isolé et triste, j’écrivis sur ce ton, qu’aujourd’hui je reconnais injuste. »
  2. Ce sont, naturellement des fragments de la minute restée dans les papiers de Bakounine. La lettre n’a peut-être pas été expédiée au destinataire. Le calendrier-journal nous fait voir Bakounine travaillant à une « grande » lettre à Morago les 18 et 19 mai, les 2, 3, 4, 5 et 7 juin.